Poème de Rana El Kathib traduit de l’anglais par Gérard Jugant et dédié à Ahmad, du camp de réfugiés de Deir el Balah à Gaza. Extrait du recueil 18 poèmes
Me rencontrer
C’est voir une personne.
Voir ma mère
C’est connaître l’amour.
Visiter ma maison
C’est entrer dans notre maigre existence.
Me suivre à la maison,
C’est suspendre une lueur d’effroi dans mes yeux,
comme si je craignais que vous ne rasiez
Mon humble demeure.
Rencontrer nombre de mes amis
C’est connaître des réfugiés plus de 2 ou 3 fois déjà.
Écouter certains de mes voisins
C’est entendre la douleur des gens qui ont perdu un être cher
tué par une balle « perdue » d’un sniper.
Rencontrer mon grand-père et mon père c’est les écouter
Raconter comment il fuirent leurs maisons,
c’est le récit d’une famille privée de justice.
Contempler les yeux de ma grand-mère et ceux de ma mère
C’est voir plus d’un demi-siècle d’errance et d’étonnement.
Se mettre à notre évier desséché, savant que notre eau s’en va remplir
La piscine de mon geôlier à moins d’un miles de là
C’est reconnaître l’étendue de ma disgrâce.
Partager notre existence aride
C’est me pardonner de paraître imparfaite.
Marcher dans mes rues
C’est témoigner de mon humiliation quotidienne par les soldats en vert.
Écouter ma sœur insultée par les colons armés,
C’est observer une idéologie raciste.
Rencontrer une femme dont le cœur du mari s’est arrêté quelques heures après
Que les soldats en vert aient détruit leur maison
C’est comprendre pourquoi elle vit blessée
Rencontrer un garçon de 13 ans
qui a survécu à la balle dans la poitrine d’un soldat en vert
alors qu’il marchait de chez lui à la maison de son grand-père,
C’est réaliser pouquoi un enfant porte le poids d’une vieillard
Sur ses jeunes épaules accablées.
Rencontrer la femme qui aété témoin
Des cops mortels portés à sa meilleure amie
C’est comprendre la rancoeur qu’elle qu’elle garde.
Voir le vide dans les yeux de gens
Sauvagement agressés parcequ’ils portaient leur drapeau,
C’est comprendre pourquoi ils ont appris
À détester les soldats en vert.
Rencontrer les innombrables parents
Des enfants prêts à s’affronter vus pour la dernière fois,
Sans promesse de retour, ensanglantés par les soldats en vert,
C’est reconnaître l’exaspération.
Plus d’un demi siècle d’exil et de souffrances
Infligé à mes parents, à mes frères et sœurs, à ma famille et à mon père,
Je suis une Palestinienne.