Traumatisme durable
La Nouvelle-Calédonie, à partir d’aujourd’hui lundi 3 juin, est censée être en période de congés scolaires de deux semaines.
L’archipel, le territoire d’outre-mer, la collectivité sui generis – ironie de ces mots latins, de son propre genre – n’a plus ni calendrier ni de repères. Elle devient comme un bout de terre déboussolée, jetée aux aléas des indécisions.
Hier, un vieil ami, français de bonne volonté, qui a toujours eu un regard bienveillant, une attitude d’honnête homme, est passé à la maison. Nous échangions à bâtons rompus sur la Nouvelle-Calédonie. Me sachant formateur de formateurs, professeur à l’IFMNC, un institut de formation des instituteurs, il me faisait remarquer que la reprise scolaire du 17 juin – si elle s’effectuait – serait difficile pour les enseignants. Ils auront beaucoup de mal à reprendre le cours normal (en jouant sur la polysémie). Les enfants seront traumatisés.
Oui, c’est vrai! Mais peut-être serait-il temps que ces enseignants prennent enfin conscience qu’en Nouvelle-Calédonie, on ne doit pas faire la classe comme en France métropolitaine.
Toujours est-il qu’un pesant climat anxiogène règne et s’infiltre partout, dans tous les quartiers, dans tous les recoins, les transformant en zones d’incertitude.
Les modernes, forcément plus malins, parce que venant après les anciens, critiquaient et ironisaient sur les écrivains calédoniens considérés comme “ringards”, “colonialistes” ou “paternalistes”, notamment un certain Jean Mariotti. Il y a pourtant des textes percutants écrits lors de son exil en France, excentré de son île natale, de son Farino, endroit touché par 1878, la grande insurection menée, nous dit-on, par Ataï. Tout est peut-être inutile ou son roman le plus connu A bord de l’incertaine sont des titres prémonitoires. Sans parler de l’écrivaine kanak de génie Déwé Gorodé qui, en 2005 je crois, écrivait un roman décapant, scandaleux, sans concession aucune, L’épave.
Ces métaphores (la dérive) et métonymies (l’épave renvoie au Pays) disaient déjà avec précision les devenirs instables et indéterminés.
Je suis toujours étonné de l’insouciance des expatriés voire des Gens en général. Feignant de ne pas ressentir la perpétuelle tension du quotidien. Alors que nous avons toujours vécu dans l’inquiétude. L’intranquillité.
L’inquiétude est entretenue aujourd’hui encore par des esprits brouillons et confus à qui la France a confié des responsabilités dont ils ne sont pas du tout à la hauteur. Je rejoins le propos de Christian Tein comme quoi le président de la République devrait avoir une hauteur de vue pour sortir la Nouvelle-Calédonie de l’impasse : “à un moment donné, il prend de la hauteur et puis il met la barre là où…”.
Ces intelligences soutiennent des propos provocateurs et instrumentalisent la Nouvelle-Calédonie pour masquer leur propre incurie.
La Nouvelle-Calédonie en fait les frais. La Nouvelle-Calédonie est encore et toujours dans un traumatisme durable. Ecrivant autour de 4 heures du matin, j’entends au loin des lacrymogènes.
On tricotte, détricotte et retricotte.
Quelques heures plus tard…
Je reviens du barrage.
Bernard H. partant tôt de son travail a du faire demi-tour. La route en direction de Païta était bloquée. Rires. les mobiles détruisent les barrages; les jeunes reviennent pour les remonter.
Comme quoi, je ne pensais pas si bien dire : ça tricotte, ça détricotte, ça retricotte ad infinitum.
PS : Suite à la chronique du mardi 28 mai, un lecteur me demade de faire part de ces deux précisions suivantes :
1. Il ne s’agit pas d’un cabinet d’architecte mais de Maitrise d’œuvre (Batiment et Travaux Publics) propriétaire d’une maison dans le quartier et locataire d’une autre où se trouve le siège social.
2. Le résidant ne critiquait pas le gouvernement “Mapou” mais les élus en général, qui n’ont rien fait (au regard de leurs obligations transcrites dans la loi référendaire).