Dimanche 2 juin
Moment souverain
Hier. Fond sonore, bruits d’explosions des lacrymogènes, au loin à la tribu de Conception face à la carrière. Aujourd’hui dimanche un court moment de paix et de sérénité.
Pendant la réunion d’hier soir, des dizaines de bulldozers, escortés par les blindés des mobiles, revenaient du nettoyage à la tribu de Saint Louis au Mont-Dore. Dimanche matin, encore plus nombreux, ils passèrent devant le Korail de Normandie retournant probablement à Saint-Louis.
Petite Normandie fait le pari de la vie. Une volonté de vie sociale. Une compensation par construction des rapports sociaux. Les Gens décident de vivre et veulent se parler.
Samedi soir, il avait été décidé de confectionner un bougna pour le repas dominical de midi. Chacun amenait une contribution : maniocs, viandes de porc, ou présence physique pour le travail. La force physique des hommes était requise pour creuser à même la terre le four au feu de bois avec pierres brûlantes pour la cuisson du bougna. Enveloppés dans des feuilles de bananiers tressées par les femmes, les ignames, taros, bananes avec poulet, et morceaux de porcs cuits à part, furent mijotés avec le jus de coco toute la nuit. Le lendemain, on déterra le bougna. Mixité culinaire. Les Océaniens, Wallisiens et Futuniens, affectent le cochon. Ils savent l’élever et le soigner et il sert pour les grandes cérémonies coutumières. Dans une moindre mesure, la participation océanienne reproduit ces pratiques. Les Kanak cuisinent les bougnas à l’occasion des grands événements. Ainsi la base vie Pont des Français créé l’événement. La vie sociale culturelle cherche à raccomoder les rapports humains déchirés et broder le tissu social rompu par les violences.
Je remarque au passage que le calendrier forcé du troisième référendum avec violence et mépris faisait fi du temps océanien kanak des coutumes de deuil – ces moments incontournables qui sont comme les poumons des sociétés.
Lors de la réunion qui évoquait les fractures entre jeunes et vieux, une jeune mère avait osé prendre la parole.
On est kanak. Notre psychologie à nous, c’est de prendre le café et prendre le temps de parler, de se parler. Je suis maman d’un bébé de deux ans. Il va grandir ici. Je veux le meilleur pour son futur.
Les Gens en Océanie désirent bien vivre. Avec les savoir-faire, savoir-être et savoir-dire des mœurs et coutumes du Pays. Les Gens en ont plus qu’assez des discordes. S’ils se battent, c’est pour leur liberté, leur souveraineté. Le mensonge est de dire que les Kanak veulent jeter les Blancs dehors. Ils revendiquent leur souveraineté, leur indépendance pour vivre. Ils veulent la sérénité, le désir de paix. Pour vivre. Pour bien vivre. Le stress, les maladies cardio-vasculaires, la mal bouffe, le malêtre, les mauvaises paroles, toutes ces pathologies naissent à partir des aliénations coloniales. Fanon le décrivait en son temps. Tjibaou luttait contre l’aliénation identitaire et l’alcoolisme des Kanak par la réhabilitation de la culture kanak dénigrée.
Dans ce dimanche midi, le bougna au four, repas commun partagé, fut un moment de paix. Un moment souverain.
Ajout de ces mots dans la soirée
Dans la soirée, les jeunes se sont regroupés et sont venus faire un geste coutumier de pardon aux papas et mamans à la base-vie. Ils ont peu parlé. Les sermons, la morale leur furent assénés. Sylvain B., un des papas, leur expliqua les raisons de ces barrages filtrants.
Ils ont écouté. Les papas leur ont suggéré de revenir demain avec des propositions. Une esquisse ou un début de communication entre jeunes et vieux. A voir.