J’ai eu cette chance parmi de nombreux élèves d’avoir eu en formation des maîtres à l’IFMNC (Institut de formation des maîtres de la Nouvelle-Calédonie) Frédérique Muliava et Isabelle Champmoreau. Aléas des destinées, la première est devenue « dircab » du président du Congrès, Roch Wamytan (préfacier de mon essai sur la philosophie kanak de l’histoire éditée à Marseille par les éditions la courte échelle-transit), la seconde, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, membre du gouvernement, chargée de l’enseignement et des questions relatives à la recherche.
Je me souviens très bien des deux. Je ne sais plus si elles étaient de la même promotion. J’intervenais, missionné par l’Université de la Nouvelle-Calédonie, en tant que chargé de cours de philosophie de l’éducation – discipline déboutée par les sciences de l’éducation. Frédérique Muliava était déjà proche des questions sociales et de la vie politique en Kanaky. Isabelle Champmoreau, rigoureuse, avait des positions neutres ou du moins discrètes. Ironie, elle avait travaillé à un exposé difficile sur la pouvoir et la discipline à partir d’un extrait de Surveiller et punir de Michel Foucault. Par stratégie, je découpais un corpus de textes philosophiques et/ou de sciences humaines dont les objets touchaient aux problématiques philosophiques de l’éducation.
Isabelle Champmoreau avait fait un remarquable travail didactique de présentation et d’analyse du texte. Elle avait réussi à intégrer dans son exposé les pistes pédagogiques.
Autre temps autres mœurs, ces deux brillantes personnes se retrouvent dans des positions politiques symétriquement inverses et opposées à l’image de la Kanaky en Nouvelle-Calédonie et de la France en Nouvelle-Calédonie ou de la Nouvelle-Calédonie dans la République de France.
Nous aurions pu construire une même « nation » ou « pays » en construisant de réelles médiations par des rapports dialectiques qui prennent et reconnaissent ce qui est mieux dans les différends. Pour faire simple, je trouve que c’est un gâchis au niveau des ressources humaines que de voir jetée en prison une femme comme Frédérique Muliava et de ne voir exceller dans ses fonctions méritées une personne intelligente comme Isabelle Champmoreau.
Je tenais à introduire ma chronique par ce témoignage. En Nouvelle-Calédonie, le pire du pire est l’énorme gâchis des talents, des compétences et des savoir-faire.
Parlons de l’urgence politique. Je ne suis pas d’accord avec les analyses de mon collègue et ami géopoliticien Pierre-Christophe Pantz, consultant pour les médias, au sujet des élections. Il voit se perpétuer ce que certains juristes soucieux des questions politiques appellent la bipolarisation, un conflit clivant articulé et positionné autour de deux blocs pour ou contre l’indépendance.
Je ne partage plus ces types d’analyses décontextualisés du réel déconnectés du mouvement de l’histoire. Les jeunes populations kanak urbanisées sont allées voter malgré la crainte et méfiance des autorités. Ces abstractions oublient que la Nouvelle-Calédonie n’a jamais eu de députés indépendantistes depuis Roch Déo Pidjot et Maurice Lenormand. Les populations kanak de la première circonscription des quartiers nord de Nouméa et des îles dites Loyauté avec l’île des Pins (Tiga Nengone Drehu Iaai et Kunié) n’apprécient plus Philippe Dunoyer et veulent encore moins de Nicolas Metzdorff. Ce dernier est vu et perçu en un réactionnaire fauteur de « bordel », pour reprendre le mot de Sonia Backès.
Les analyses limitées à la bipolarisation minorent autre chose. Dans la deuxième circonscription, beaucoup de gens ont opté pour le pragmatisme du programme social du FLNKS. Alcide Ponga, président du parti Les Républicains, n’a ni la carrure ni l’envergure des élus kanak de la province nord. Or, une lecture sommaire, abstraite, pour ne pas dire feignante, masque le sursaut de la conscience politique kanak. Entre Alcide Ponga, n’ayant aucun programme, et Emmanuel Tjibaou porteur du projet du FKLNKS, il y une différence de degré et de puissance.
Dans la première circonscription, Nicolas Metzdorff fait son score dans les bastions sud de Nouméa où l’absence de politique sociale de la mairie et de la Province sud favorise les castes. Les raisons des révoltes des jeunes Kanak accouchent de la politique inégalitaire mise en œuvre depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Nouméa est une ville conçue et administrée par les castes européennes. Il serait temps de créer en priorité une sorte de ministère de la jeunesse au centre des institutions. Non pas des bureaucraties rattachant la jeunesse à la culture, à l’éducation ou au sport. Un ministère de la jeunesse institué au cœur des dispositifs qui décident des politiques économiques.
La jeunesse kanak urbaine a été actrice du mouvement politique actuel. Il faudrait arrêter de faire semblant de l’écouter et de l’embobiner dans des missions d’insertion et de dialogue.
Justement hier à la base vie du barrage de Petite Normandie, une mission du dialogue est venue écouter les raisons de la colère des jeunes. Ils prenaient des notes des propos exprimés notamment l’absence de maison de quartier, la répression raciste de la police nationale et municipale locale, aucune place des jeunes dans la société, etc. etc.
Je croyais que la réunion allait porter ce lundi sur une analyse politique de ce qui est en train de se jouer et précisément sur les résultats des législatives. La mission se veut apolitique. Comment instituer un dialogue alors que l’urgence est de se mobiliser pour le deuxième tour ? Va-t-on encore supporter Metzdorff et ces va-t’en guerre réactionnaires ? Leur seul programme tient en ces deux mots : réprimer et endetter.
Je vais suspendre cette chronique et compte faire une analyse plus précise de la répression et de la stratégie martiale de l’État ultra libéral