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Si y a pas toi y a (pas) moi. Chronique du jeudi 27 juin 2024. Hamid Mokaddem. Nouméa

Publié le 28 Juin 2024 par Hamid Mokaddem in Chronique, Kanaky Nouvelle Calédonie

Si y a pas toi y a (pas) moi. Chronique du jeudi 27 juin 2024. Hamid Mokaddem. Nouméa

 

Si y a pas toi y a (pas) moi

Le slogan « Si y a pas toi y a pas moi » scandait le refrain du « destin commun » en plein ADN, « Accord de Nouméa ». Hier commémoration du 26 juin 1988 la poignée de main Lafleur-Tjibaou était éclipsée par les médias occupés, obnubilés, affairés, dépassés par les « exactions », les « émeutiers », la « crise calédonienne », pour reprendre leurs titres racoleurs. 

Autre temps, autres mœurs. Hier, Kiki Karë, animateur culturel kanak, surfait sur le mot d’ordre de « communauté de destin ». « Si y a pas toi y a pas moi ».  Aujourd’hui, d’autres Kanak, bien plus jeunes, anonymes, font à leur tour de l’esprit. Négation prise en flagrant délire de dénégation. « Si y a pas toi … y a moi ». J’ai photographié ce mot d’esprit dans un des quartiers sud de Nouméa la blanche. Dans un autre de ces quartiers, j’assistais à une scène comique. Une dame roulait en vélo électrique, qui devait coûter une fortune, demandait poliment à trois jeunes piétons kanak de pouvoir passer. Avec courtoisie, ils s’écartèrent et l’un des trois de lui dire : « Mais bien sûr Madame » ajoutant lorsque celle-ci s’éloignait : « Et Vive Kanaky ! » Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire. On assiste à des sketchs en déambulant dans Nouméa. Dans un autre quartier sud, proche des restaurants, échoppes, bars et hôtels à touristes, à proximité de mer, je surprends Sonia Backès sortir de je ne sais où, traversant la route, juste devant moi et rejoindre un Suv. Encadré de trois hommes dont deux donnaient l’apparence d’être des professionnels de la sécurité. Au moment où je dépasse leur véhicule, l’un d’eux ouvre le coffre arrière. Par curiosité, je jetais un œil pour voir s’il y avait une arme. Rien en apparence. Excepté un petit extincteur ! Ah ! Notre pyromane qui joue maintenant au pompier ! Je ne vais pas m’attarder sur elle. Je crois au vu des infos télés du soir qu’elle devait sortir d’une campagne de Nicolas Metzdorff. Ils font leur propagande dans les restaurants de luxe.  A la télé, on voyait le candidat pérorer devant un parterre de « Blancs » des quartiers mondains. Accompagné des 3 B : Blaise/Backès/Brial. Eux ne risquent rien tant ils sont sécurisés par la justice et l’ordre Dupas/Le Franc. Je tiens à mettre des guillemets au mot « Blanc » l’entendant d’une part, au sens conféré par Artaud, à savoir, celles et ceux qui pensent et sentent de manière occidentale et d’autre part, au sens clinique du psychiatre Fanon, celles et ceux qui s’identifient au modèle aliéné du complexe colonisateur-colonisé. 

Ah ! Sonia B. ! Elle fait pitié !  Elle recouvre la psychose de Jacques Lafleur auteur du récit politique L’assiégé. Ah ! Tous ces « Blancs », assiégés au sein de leur forteresse mentale et matérielle, qui souffrent des petites persécutions et psychoses d’assiégés. Nous assiégeant du même coup par leurs fantasmes qui ne cessent de harceler et d’occuper l’espace public. 

« Si y a pas toi y a pas moi ! » Ce mot d’esprit montre que l’accord de Matignon-Oudinot a du plomb dans l’aile. L’accord de Nouméa aussi. Le temps du dialogue-monologue est révolu. « Si y a pas toi y a moi ! » il fallait en arriver là pour que les Kanak marginalisés urbanisés se fassent voir et entendre. 

Nous ne sommes pas dans une émeute urbaine. Nous sommes dans la radicalité qui ouvre une brèche. La politique de l’ordre veut boucher et colmater la brèche. Que nous dit-elle ?

La comptabilité de l’ordre

Louis Le Franc, haut-commissaire de la République et Yves Dupas, procureur de la République, sont les deux chroniqueurs de l’ordre. Nous avons pu entendre ce mercredi 26 juin Le Franc faire le décompte du réel en matière d’ordre. Louis Le Franc a une bonne tête de charcutier de nos terroirs du fin fond de la France rurale, tête qu’évoquait Gabin à l’officier SS francophile, à propos de Bourvil, dans La traversée de Paris. Avec un ton débonnaire, il assène des avertissements aux « émeutiers » les menaçant et les avertissant que les professionnels du GIGN et du RAID courent aussi vite qu’eux et savent se servir de leurs armes et qu’ils seront en droit de tirer au nom de la légitime défense.

Le Franc « jeu »

Louis Lefranc parlait sur les ondes de RRB. Radio Rythme Bleu, radio pro-française, créée du temps des radios dites libres, en même temps que la radio kanak indépendantiste, Radio Djiido. Invité par la rédactrice en chef Elisabeth Nouar, il faisait un état des lieux. Ce doit être un régal de l’écouter pour les sociologues utilisant les statistiques de « guerre » contre « l’ennemi intérieur ».

Le Franc nous rassure : « On en viendra à bout » « On aura le dernier mot ». Hilarant ! Ce jeu du chat et de la souris entre les jeunes « émeutiers », âgés de 15 à 25 ans, puis lors de la deuxième vague, de 18 à 30 ans, et les forces de l’ordre. Ce tricotage et détricotage des barrages exacerbe Le Franc et déstabilise les gardes-mobiles. 

Il indique que dans la nuit du 25 juin, 53 barrages ont été déconstruits par les sapeurs-pompiers militaires de Marseille et Paris ; le lendemain, 50 barrages sont reconstruits. Certes, ce ne sont plus les barrages constitués des carcasses des véhicules. Les 3000 carcasses des voitures incendiées ont été transportées dans un terrain de la Province sud. Ils découpent maintenant des arbres. Je cite Le Franc : « ça continue… c’est une espèce de rage qui anime ces individus, les émeutiers » « beaucoup sont alcoolisés ont consommé des produits stupéfiants ». Le 13 mai, Le Franc martelait les chiffres : 3 compagnies de CRS, 32 escadrons de mobiles, 160 GIGN et une quarantaine RAID. Il y avait 8000 émeutiers, 3000 sur Nouméa et 5000 dans les périphéries. Le 25 juin les émeutiers sont beaucoup moins nombreux, 500 sur Nouméa et 1000 en Brousse.

Un aveu d’impuissance ?

L’ordre poursuit sa litanie sur les chiffres. En zone gendarmerie, Plum, cocktail molotov ; Thio, site de la SLN (Société Le Nickel) et gendarmerie assaillis; pareils pour Mont-Dore ; Bouloupari ; Païta ; Koné ; Saint-Louis ; des barrages incessants sur les axes du grand Nouméa et sur l’axe Nouméa Tontouta ; 90 tirs tendus contre les gendarmes. En zone police, Nouméa. Les émeutiers n’hésitent plus à affronter les forces de l’ordre ; les barrages sont piégés par des bouteilles de gaz et des ferrailles ; 2032 policiers et gendarmes sont déployés sur Nouméa. Menace sur les transformateurs énercal et site OPT (Office des Postes et Télécommunications) ; barrages enflammés par des objets incendiaires tels que cocktails molotovs. Ils savent les fabriquer… (ces « sauvages » !!!)

Le Franc rapporte que Macron en personne n’avait jamais vu ça et avouait que nous étions dans une « situation insurrectionnelle inédite ». 84-88, les événements s’étaient produits en Brousse ! Là, c’est Nouméa et les trois communes périphériques, Païta, Mont-Dore et Dumbéa, soit à peu près 200 000 habitants. Lieu des commerces, des entreprises. Depuis le 13 mai, 1512 interpellations et les autorités judiciaires puniront les actes graves commis contre les forces de l’ordre. 

Le Franc insiste. On ne lâche rien. Quartier par quartier de Nouméa, 12 unités de mobiles déployées et une unité H 24 pour agir. Il en est de même pour les périphéries.  

Le Haussaire s’adresse de manière indirecte aux commanditaires. On ira les chercher un par un et ils passeront tous devant la justice. On aura le dernier mot ! 

Monologue étatique

Le Haut-Commissaire était missionné pour contrôler les remboursements des dettes et d’exiger de la Nouvelle-Calédonie qu’elle sorte de l’endettement par la fiscalité. Il faudrait un livre consistant, solide et étayé, sur la fiscalité et la dette coloniale. L’État endette et réprime sans jamais proposer d’autres modèles économiques. La Nouvelle-Calédonie est une carricature. L’ordre et la justice sécurisent les « Blancs » et répriment les Kanak dès lors qu’ils protestent pour se faire entendre. Oui ! Si y a pas toi y a moi ! On peut l’entendre. On peut le comprendre !

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