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 la courte échelle. éditions transit

éditeur solidaire et associatif, art et politique,

Lundi 20 mai - mercredi 22 mai Chroniques d'Hamid Mokaddem. Nouméa (mise à jour)

Publié le 20 Mai 2024 par Hamid Mokaddem in Kanaky Nouvelle Calédonie

Lundi 20 mai - mercredi 22 mai  Chroniques d'Hamid Mokaddem. Nouméa (mise à jour)

Nuit du dimanche 19 mai au lundi 20 mai petit matin

4 h du matin. Calme inquiétant. 

Les médias fabriquent l’imaginaire et forgent l’opinion. La méconnaissance délibérée des cultures, des sociétés, des langues, des gens n’est plus scandaleuse. C'est une infâmie. L’ignorance jouit des rumeurs, ragots, « fake news », et aime à se nourri des clichés stéréotypés primaires : Kanak versus Caldoches ; indépendantistes/Loyalistes ; Noirs/Blancs. En Nouvelle-Calédonie, on en subit les conséquences. 

L’ensemble des journalistes produit des mots d’ordre. Voici ce que vous devez savoir ! Oui Deleuze a raison sur l’énoncé performatif, mot d’ordre marqueur de pouvoir. Oui Bourdieu aussi. Mais il faut être plus radical. Les journalistes ne se soucient pas des personnes, de leurs histoires, de leurs vies. Les journalistes ne s’informent pas. Ils/elles se nourrissent des images, des fantasmes, des ombres projetées contre la paroi de la caverne. Ils/elles jouissent de l’ignorance, la passion la plus dévorante nous enseigne Lacan. Qu’est-ce qu’on leur enseigne dans les écoles de journalisme ?

Le préfet Le Franc met à profit la nuit du dimanche 19 mai pour effectuer un « nettoyage ethnique » - aux mots d’ordre, on doit employer les mots appropriés – des zones sensibles, les quartiers nord de Nouméa. Le GIGN et le RAID vont se charger de la besogne. Encore hier, dans le dispositif du pouvoir (télévisions et radios), Le Franc a averti les « émeutiers ». Ces élites des forces de police et de gendarmerie savent se servir des armes et qu’ils en feront usage. La chasse est lancée. Le mot d’ordre de sécuriser, de « harceler », nous dit Le Franc est lancé. L’ordre républicain va satisfaire les fantasmes des psychoses d’assiégés des nantis des quartiers sud. Triste bien triste politique. Hier au journal télévisé local, l’archevêque Calvet, en poste depuis une quarantaine d’années, adresse une prière œcuménique aux politiques. Que ne l’eût-il adressé aux forces de l’ordre ! Je prie pour que les gosses et adolescent.e.s ne soient pas victimes des exactions politiques.

J’attends 6 h du matin pour sortir et voir.

 

 

Lundi 20 mai 2024

Médias 

Après une réunion de quartier où la CCAT (Comité concertation action terrain) fait sa propagande, les Gens veulent s’organiser. Une fois la CCAT partie, les anciens du quartier somment les jeunes de se comporter avec dignité : pas d’alcool, pas de vol des deux magazins de quartier, pas d’incendie du collège de Normandie, du respect dans les barrages, exclure les autres groupes et bandes de jeunes qui proviennent d’autres quartiers et qui incitent au pillage. Les anciens proposent des actions encadrées etc.  etc. 

De retour à la maison, des jeunes de la famille sont venus nous rendre visite. Selon eux, il y aurait plus de 20 jeunes de tués. Ils nous montrent ces photos que je prends avec mon mobilis. Ce sont les photos de deux jeunes à peine âgés de 17 ans abattus par un gardien de la paix résidant à Tindu. J’ai envoyé un sms à un membre de la CCAT pour avoir une confirmation. Il attend d’avoir lui-même confirmation.

Par respect, je ne reproduis pas ces photos mais j’en ai fait un dessin.

 

 

Mardi 21 mai 2024

Médiateurs des sociétés civiles

Ce matin de bonne heure je sors avec le scooter. Je passe par Tina. Les gens ont dressé des barrages pour boucler leur quartier. En période de calme, chaque résident possède des chiens de garde. Là, ils sont surexcités. Le premier barrage un ancien me laisse passer avec calme. Un moins jeune me reconnait : « monsieur Mokaddem ». L’autre tronçon du barrage, un milicien me dit : « à vos risques et périls ! » Un autre surenchérit en tapant sur la caisse arrière : « là des grenades et de chaque côté une mitraillette ».

Je crois que les gens ont peur. Il faudrait des personnes reconnues des deux côtés pour parler et apaiser les tensions. 

 

Mercredi 22 mai 4h48

Je regarde une émission télévisée.  On m’envoie de France un lien d’une émission radiophonique culturelle où il est question de l’opposition entre histoire nationale et histoire décoloniale. J’avoue que toutes ces jacasseries médiatiques, pour reprendre le mot d’un ami situé à Paris, me sont inaudibles.

C’est comme peine perdue d’expliquer et de réexpliquer ce qui est en train de se passer.  Des informations précises, détaillées et objectives s’avèrent être nécessaires. Les services du haussariat sur lesquels s’appuient les médias nous disent que nous en sommes à 6 morts. Les rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux parlent de 20 jeunes assassinés tirés comme des lapins. Parmi l’annonce officielle des 6 morts, deux gendarmes ou garde-mobiles, et quatre civils dont 3 Kanak (deux adolescents de 17 ans) et un « Caldoche » d’une cinquantaine d’années ayant voulu forcer un barrage dans la commune de la Province nord, Kaala Gomen. Pour ce dernier, on dit qu’il aurait tiré sur un de ses fils. Pour les deux mobiles, le premier tué par balles en pleine tête à La coulée proche du Mont-Dore. On ne connait pas l’identité de l’auteur de ce tir. Le second tué par « effraction » selon le journal télévisé local du mardi soir. Un accident. Le premier mobile tué était âgé de 22 ans. Le second aurait-t-il paniqué ? les trois Kanak ont été tués par qui ? Un ancien gardien de la paix résidant à Rivière Salée ayant chassé du Kanak à Kaméré. Le troisième âgé d’une trentaine d’années, on ne sait rien. Ces imprécisions font le nid des rumeurs les plus insensées qui circulent dans les réseaux sociaux. 

Ce qui est sûr : les zones industrielles et commerciales de Nouméa et des trois agglomérations Païta, Dumbéa et Mont-Dore ont été dévastées, sinistrées, incendiées et pillées. Qui sont les auteurs ? Ils ne s’en cachent pas : les milliers de jeunes kanak qui ont grandi à Nouméa, tous ne sont pas originaires du Sud. Leurs cultures sociales, c’est l’urbanisme inégalitaire et la reproduction de savoir-faire fructifiée dans l’errance et la délinquance. Le Haussaire le 13 mai concentrait son attention sur Saint-Louis et Pierre Lenquette, les deux zones systématiquement stigmatisées. L’explosion s’est faite partout et de manière synchronisée.  

Une cartographie géopolitique de Nouméa et Grand Nouméa même sommaire s’avère utile. A l’intérieur de Nouméa, il existe des quartiers sud et nord. Me déplaçant en scooter avec prudence, la visière du casque ouverte pour qu’on voit mon visage, je démarre de mon secteur, un des secteurs nord où sévissent encore les « exactions » pour reprendre le lexique médiatique. Les bandes de jeunes me disent de ralentir et plaisantent : « pas d’arme blanche ! » Plus loin, le barrage filtrant est tenu par des anciens avec un drapeau Kanaky. Pas de drapeau blanc comme le voulait l’architecte, élu à la municipalité de Nouméa, qui a son bureau dans une des villas du quartier. Au rond-point, je vois des mobiles s’installer et écouter les consignes de leur supérieur. Je comprendrais leur présence en sachant que le chef de l’État est attendu, accompagné du ministre de la défense, Sébastien Lecornu (ancien ministre des outre-mer qui avait commencé le passage en force de l’État en Nouvelle-Calédonie), de Gérard Darmanin, ministre de l’intérieur et de je ne sais plus son nom, de la nouvelle ministre des outre-mer. Plus loin, proche de l’aéroport domestique, situé à Magenta, placé dans le concessionnaire Renault complétement brûlé, d’autres compagnies de garde-mobiles. Ils sécurisent la venue du président.   

Dans les quartiers sud, des gens et des milices ont dressé des forteresses et clôturent leur chez eux.

Ce qu’il faudrait certes ce sont des personnalités jouant les médiateurs entre quartiers sud et nord. Je me dis aussi que je ne vais pas servir de pompier aux incendiaires pour reproduire un système, cautionner un marché, dont les modèles de développement marginalisent les populations déscolarisées kanak. 

Macron change son agenda ; imite-il Mitterrand en 85 ? Qui sont les hauts-fonctionnaires l’accompagnant ? 

On verra mais les déstabilisations continuent ainsi que les barrages reconstruits les nuits durant.

 

Les chroniques précédentes :

17 mai

18 mai

19 Mai

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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