L’arrestation des leaders de la CCAT
Bichou, surnom de Christian Tein, tête du CCAT, arrêté. Le mouvement est-il arrêté ? Macron rédige un courrier le 18 juin. Menaçant de sanctions les « commanditaires ». Le 19 juin Le Franc, Haut-Commissaire de la République, et j’ai oublié le nom du procureur de la République, mandatent les forces de police et de gendarmerie pour procéder aux perquisitions au siège de l’Avenir calédonien puis aux arrestations de 11 membres de la CCAT dont Bichou. 96 heures de garde à vue. Jusqu’à dimanche prochain. Avec la pression des techniques de l’aveu analysées par le grand philosophe français Michel Foucault. Le procureur de la République nous récite le soir même au journal télévisé son prêche sur la justice : objectivité, rigueur et impartialité de l’enquête. Sauf que jusqu’à preuve du contraire, les assassinats commis par les « milices » ne sont pas élucidés. Les barricades des quartiers riches sont toujours érigées tandis que les barrages filtrants sont systématiquement démolis à coups de bulldozers.
Sans mauvais jeu de mot, Nouméa bichounait et paniquait par peur des représailles. Alors que l’UC et la CCAT ont appelé les militants au calme. Le soir, au barrage de Petite Normandie, Tomi un militant CCAT du Mont-Dore, avait remis le communiqué CCAT, avec pour mot d’ordre, l’appel au calme. Demandant de contenir les jeunes. Ici on les voyait commencer à brûler les pneus et mettre de gros cailloux sur la route. Il a fallu envoyer les référents pour les raisonner. Les voitures civiles de police circulaient.
Le soir de notre réunion, une famille d’Océaniens wallisiens et futuniens est venue faire une coutume pour intégrer la base vie et le mouvement. Une femme européenne en couple avec l’un des membres en faisait partie.
Tomi, militant tahitien CCAT, à qui le grand frère de Bichou avait demandé de prendre la parole pour expliquer la situation, tenait d’abord à remercier ce geste. « Nous les Océaniens, nous devons nous joindre avec le peuple autochtone pour l’indépendance. Il est fini le temps où on se servait de nous comme chair à canons ou de masse électorale achetée par les subventions (faisant allusion notamment à la corruption de la mairie de Païta). »
Les référents de la base vie de Petite Normandie, une fois partie la délégation nationale CCAT, indiquaient que nous avions besoin d’organiser un bingo (une sorte de loto) pour financer la défense des prisonniers et inculpés. La justice coloniale est expéditive et ne fait aucun cadeau.
Les réactions des réactionnaires
Je voudrais m’attarder sur les réactions des réactionnaires. Elles sont édifiantes et rappellent des pages sombres de tristes périodes.
Un peu d’histoire. Machoro et Nonnaro furent exécutés le 12 janvier 1985 par les tireurs d’élite du GIGN par ordre d’Edgard Pisani, ministre de la Nouvelle-Calédonie. Le soir même, les « Blancs » sabraient le champagne. La mort du « serpent à lunettes » les faisait jouir. En 1987, même type de réaction suite à l’acquittement des assassins en décembre 1984 des militants UC de Tiendanite massacrés dans une embuscade par les milices caldoches. Nouméa la blanche fêtait l’événement comme les supporters le font après la victoire de leur équipe de foot.
Les leaders de la CCAT, arrêtés par les forces de l’ordre, font jubiler Sonia Backès et Nicolas Metzdorf.
La présidente de la Province sud célèbre le 19 juin en ces mots :
19 juin 2024, le jour où les Calédoniens sont redevenus des Français comme les autres.
L’ancien député de la seconde circonscription, qui brigue un second mandat dans la première circonscription, quant-à-lui, avec son élégance d’imposteur qu’on lui connait, fait aussi dans la dentelle :
Ceux qui n’ont jamais dénoncé les responsables de la CCAT et qui n’ont eu que le renoncement comme maître-mot doivent se sentir bien seuls aujourd’hui. Désormais notre responsabilité sera de sortir par le haut de cette crise. C’est aujourd’hui le premier jour de l’après. Ce sera long et difficile mais on n’y arrivera.
Backès-Metzdorf même combat. Le 19 juin 2024 est un jour de libération. Ces déclarations et provocations à l’emporte-pièce font comme si ce qui s’était passé était dépassé. Le mouvement de destruction est une crise passagère. Un coup de répression pour remettre de l’ordre pour se sentir chez nous les Français et redémarrer la machine. On ne mesure ni n’évalue l’ampleur de ce qui s’est passé et de ce qui va advenir. Décapitant les têtes du CCAT, tout redeviendra normal, tranquille, ordonné et sécurisant.
La CCAT, c’est quoi au juste ?
Pour Darmanin, la CCAT est un clan mafieux. Pour Backès-Metzdorf, des terroristes, une branche armée de l’UC, classifiée de parti indépendantiste extrémiste. L’UNI (Palika RDO UPM) eux sont des partis indépendantistes modérés. Rappelons que le siège de l’Avenir calédonien, dans lequel se tenaient les réunions de la CCAT, est le siège de l’Union calédonienne. Le jour de la perquisition et des arrestations, la CCAT devait tenir une conférence de presse. Conférence de presse attendue surtout après le report du congrès du FLNKS et l’AG de la CCAT. L’État n’en a cure et décide de supprimer les communiqués.
La Cellule de coordination des actions de terrain a été créée en novembre 2024. Il s’agissait de relayer sur le terrain par des actions les discussions et négociations des élus FLNKS en cours ou en suspens. Darmanin avait pondu un accord particulier dissocié de l’accord global pour modifier le corps électoral « provincial » afin que la droite locale puisse reprendre en main les institutions politiques. La naissance du mouvement conflictuel part de cette combine de passage en force. Lecornu avait commencé le travail. Récompensé par une promotion, il est maintenant au ministère de la Défense. Darmanin prend la relève. On opère à la Macron. On casse les méthodes du dialogue pour imposer une marche forcée vers un semblant de démocratie.
Quels sont les liens entre CCAT et FLNKS ?
Il est patent qu’existe un lien organique entre UC et CCAT. L’UC est la seule composante du FLNKS qui accepte l’intégration au Front des autres partis et mouvances indépendantistes.
Qui compose la CCAT ?
Aujourd’hui, la plupart des militants en mouvement sur les barrages proviennent de partout sans exclusive.
Certes, la CCAT était composée de membres du Parti Travailliste, dont la présidente est Marie-Pierre Goyetche – parti créé par Louis Kotra Uregei, fondateur du syndicat USTKE ; l’USTKE justement ; la DUS (Dynamique unitaire sud) de Sylvain Pabouty, une scission du Palika ; d’autres partis et organisations, mais tous en dehors du FLNKS.
Le mouvement CCAT devait se faire en trois phases. D’abord des manifestations pacifiques jusque dans les quartiers sud pour noircir ces endroits où vivent les Blancs. Ensuite phase 2, des actions plus musclées. Celles-ci ont-elles commencé le 13 mai ? Je l’ignore et j’ignore non plus si la CCAT est en mesure de déclencher une phase 3. Et ce qu’elle est précisément.
Une chose est certaine. La CCAT ne contrôle plus le mouvement violent. Les populations très jeunes, exclues, blasées du système colonial, en révolte, prêtes à mourir sur les barrages, en sont devenues les acteurs principaux. Dés le 13 mai, méthodes héritées du bagne, l’État assigne à résidence les leaders de la CCAT, décrète un état d’urgence et un couvre-feu. Une armée d’officiers judiciaires épaule les contingents des forces armées (mobiles, GIGN et autres) pour rétablir l’ordre.
Nous sommes le 20 juin. J’écris ces lignes avec l’arrière-fond d’explosions de lacrymogène.
La CCAT a impulsé un mouvement au risque de l’implosion du FLNKS. On est étonné du silence radio du Palika, UPM et RDO. Alors que l’UC, par la voix de son président, ne cesse de dénoncer la politique répressive et les justices expéditives.
Au niveau de Nouméa, des comités se mettent en place. Comités de citoyens, et/ou copie de mission du dialogue. Mais aucun ne vient discuter avec les populations des barricades et barrages ni ne se déplace dans les quartiers. Tout se passe comme si rien ne s’était passé. De la part de Macron, on le comprend. Il fait pareil en France et sème la discorde. Mais de la part du FLNKS ? Ceci est curieux, étrange, bizarre. Ce silence est bizarre.
Bizarre, vous avez dit bizarre, comme c’est bizarre.
En tout cas, bien malin qui pourra dire de quoi demain sera fait.