Histoires kanak
A Azareu, l’AG CCAT fut tumultueuse. Beaucoup voulait en découdre. Hors de question de négocier un accord « global » et de différer une fois de plus l’indépendance et la souveraineté de Kanaky. Le choix d’Azareu (Bourail) n’était pas fortuit. Les cadres UC-CCAT recourent au congrès UC de 1977 à Bourail où le parti se positionnait pour l’indépendance kanak. Contredisant la devise « deux couleurs un seul peuple ».
Les toponymies des histoires kanak sont toujours stratégiques. Le lendemain, congrès FLNKS à Netchaot, village « paicî » où le Palika est bien implanté. Netchaot est une des traces mémorielles de la révolution de 1917, deuxième révolution kanak après 1878. Nul doute que chaque composante revendique une légitimité historique.
La CCAT voulait arriver en force et en nombre au congrès FLNKS. Avec l’objectif que le mouvement violent démarré le 13 mai casse les méthodes des discussions par lesquelles excellent les négociateurs qui veulent imposer l’idée d’un accord global. Un congrès populaire où le peuple kanak prenne la parole sans que celle-ci soit verrouillée par les cadres du FLNKS.
Après une fouille systématique des congressistes, avant le rituel d’accueil, les organisateurs ont sommé les dirigeants UC de ne faire rentrer que le comité restreint prévu de la CCAT arguant les raisons de logistique et de sécurité (possibilité d’accueil et couvre-feu). L’UC proposait alors de reporter à une date ultérieure et à un autre endroit pour que le congrès se déroule dans les meilleures conditions. Le Palika en accord avec un report du congrès du FLNKS mais posait la condition que tous les barrages soient levés. Suite logique au communiqué du Palika qui avait précédé la tenue du FLNKS.
Ces discours, sur arrière-fond d’histoires kanak, démontrent les stratégies divergentes sur l’accession à l’indépendance. La CCAT veut une accession immédiate à la souveraineté de Kanaky. D’autres composantes du FLNKS dont le Palika tiennent à négocier l’accord global avec les adversaires anti-indépendantistes et avec la France. On voit bien que nous ne pouvons réduire ce qui est en train de se passer en Kanaky à des « émeutes » ou des « crises ». Nous sommes en pleine histoire kanak. Le sort de la Nouvelle-Calédonie dépendra du dénouement de ces histoires.
Le FLNKS
Le report du congrès du FLNKS eût un précédent. En 1988, à Thio, le FLNKS décida de reporter les positionnements du FLNKS vis-à-vis de l’accord signé à Matignon à un autre congrès, celui de Gossanah (Ouvéa). La signature de l’accord de Matignon par Jean-Marie Tjibaou, président de l’UC et président du FLNKS, fut critiquée avec virulence par le Palika, le FULK (Front uni de libération kanak) de Yann Céléné Uregei et les comités de lutte dont celui de Gossanah (Ouvéa) de Jubelly Wéa. Le LKS (Libération kanak et socialiste), parti du grand chef de Guahma, Nidoïsh Naisselin, bien qu’en dehors du FLNKS, avait signé l’accord de Matignon. Il allait revenir sur sa signature et milita contre les accords Matignon-Oudinot. Le Fulk et les comités de lutte furent intransigeants. Le Palika exigea que l’accord de Matignon soit renégocié pour apporter des compléments.
L’accord de Matignon, estimé insuffisant, fut complété par celui d’Oudinot. Jacques Lafleur, président du RPCR, ne s’était pas déplacé à Oudinot. Palika et USTKE (Union syndicale des travailleurs kanak et des exploités) intégrèrent les délégations des négociateurs composées de l’UC et l’UPM. Pour le Palika, Paul Néaoutyine et Louis Mapou, devenus président de la Province nord et président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Pour l’USTKE, Louis Kotra Uregei, décédé. Palika et USTKE, suite aux deux derniers congrès du FLNKS, apportèrent des « mesures de décolonisation ».
Cependant, ni l’accord de Matignon ni celui d’Oudinot ne réglèrent la question du corps électoral. Après la signature à Paris des accords de Matignon-Oudinot, le LKS, le FULK et certains comités de lutte, appelaient à voter contre le référendum cautionnant les accords Matignon-Oudinot. Les accords ne garantissaient aucunement l’indépendance. LKS, FULK et certains comités de lutte créèrent un front de décolonisation. A Maré, les orateurs de ce mouvement prononcèrent des discours durs. Quelques mois plus tard, Jubelly Wéa décapitait les têtes « souveraines » du FLNKS, Jean-Marie Tjibaou et Yeiweine Yeiwene, en criant : « Les accords de Matignon sont morts ! Vive l’indépendance kanaket socialiste ! » Il sera abattu par un policier kanak assurant la protection des deux leaders du FLNKS.
De l’autre bord politique, une frange du RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République française) dont le Broussard de Koumac, Robert Frouin, n’était pas d’accord avec la décision de Jacques Lafleur.
Depuis la disparition des deux leaders charismatiques du FLNKS, UC-Palika se disputent le leadership. Je laisse les érudits et experts raconter en détail les péripéties de ces disputes et rivalités.
Négocier ou tuer ?
L’histoire politique des conflits et rivalités autour des délégations ont transformé les négociateurs en professionnels des discours devenus d’habiles bureaucrates.
Paul Néaoutyine soutient que le rapport de forces joue en défaveur du peuple minoré. La lutte ne peut pas être identique à celle des peuples algériens et vietnamiens d’hier ni non plus celle du peuple palestinien d’aujourd’hui. Au vu de la configuration géopolitique de l’archipel et des composantes démographiques dont on mesure encore les effets sur le corps électoral, la seule arme est la négociation et les barrages.
A défaut d’une supériorité militaire, il fallait que nous maîtrisions certains outils comme les barrages qui permettaient de toucher nos adversaires au porte-feuille.
Le Palika demande à l’UC-CCAT de lever les barrages pour entrer dans la négociation. Le Palika renvoie l’UC -CCAT à la responsabilité de sortir la Nouvelle-Calédonie de l’impasse et d’enlisement.
J’attends les retours de mardi prochain pour évaluer le dénouement.
L’accord global
A la sortie de l’accord de Nouméa, le document d’orientation prévoyait suite aux trois « non » du référendum d’examiner la situation et de négocier un avenir institutionnel. La question de la modification du corps électoral revenait sur le tapis. Le tour de passe passe de Darmanin et des classes politiques anti-indépendantistes fut de créer deux accords, un accord particulier pour le corps électoral suivi d’un accord global. Il est clair que la ficelle était un peu grosse, il s’agissait de la reprise du pouvoir aux mains des droites coloniales européennes.
L’accord global, c’est quoi au juste ? Quel est son contenu à discuter ?
Les nouvelles institutions, le nombre d’élus, le prochain référendum, la période de transition, le code de la citoyenneté avec le corps électoral provincial, le mode de déclenchement du référendum et la question qui sera posée.