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Chronique du vendredi 21 juin. Hamid Mokaddem Nouméa

Publié le 22 Juin 2024 par Hamid Mokaddem in Kanaky Nouvelle Calédonie, Chronique

Chronique du vendredi 21 juin. Hamid Mokaddem Nouméa

Précisions 

Avant tout, je tiens à apporter trois précisions par rapport à la chronique précédente. Bernard H. me fait remarquer ceci : 

La création de la CCAT date du mois de novembre 2023 et non novembre 2024 ;

 L’appel au calme de l’UC et de la CCAT, suite à l’arrestation de Christian Tein du jeudi 20 juin, provient aussi du conseil coutumier Drubea Kapumë – nom en langue kanak du même nom qui désigne les chefferies Sud dont Nouméa fait partie ;

 Le nom du procureur de la République surmédiatisé est Yves Dupas. Dans une radio locale de droite, ce procureur dénommait Christian Tein et d’autres personnes arrêtées par le terme méprisant d’individus. 

J’ajoute pour ma part que la CCAT dans un communiqué avait demandé le rapatriement en France d’Yves Dupas et de Louis Le Franc, l’actuel haut-commissaire de la République. Ce dernier avait été condamné en France pour incitation à la violence lors de manifestations écologiques. Les territoires d’Outre-mer n’accueillent pas toujours la fine fleur des hauts fonctionnaires souvent recrutés pour les basses besognes. Un général, condamné pour violences conjugales, avait été nommé chef de la gendarmerie de la Nouvelle-Calédonie. avant que l’administration locale ne s’en aperçoive et ne le réexpédie en France. Passons.

Dans cette chronique, je vais philosophailler un peu. Après coup, c’est en partie mon métier. En ce début de froid hivernal austral, nous attendons dimanche 23 juin, date de la fin de la garde à vue du leader CCAT. Entretemps, il n’est pas inutile de faire des réflexions   critiques.

Logique de l’Immonde

En philosophie, depuis Platon, le solipsisme est critiqué du fait de son relativisme étayé sur l’opinion fluctuante. Chacun voit le monde de son point de vue. Pourtant les catégories d’espace-temps, ou d’espaces mentaux si l’on veut, dépendent du milieu par l’entremise duquel les sujets vivent et sentent le monde. Les structures de perception du monde diffèrent en rapport aux sensibilités et aux positions des sujets dans les espaces sociaux. Nietzsche indique quelque part que toute culture est une façon de sentir le monde. Plus proche de nous, un philosophe français, Alain Badiou, dans sa Logique des Mondes postule qu’il existe un seul et même monde. Ouais. 

Cependant, nous vivons au monde avec une histoire, l’Histoire du monde disait G.W.F. Hegel. Mais je me demande si les espace-temps excentrés les uns des autres rendent possible une même Histoire mondiale. La puissance des égoïsmes s’exprime par un calcul des intérêts particuliers – collectif inclus – et produit un monde social poreux déstructuré. La France de Macron en est un exemple. Ici en Nouvelle-Calédonie, archipel mélanésien situé en Océanie, encore sous la tutelle de la France, l’imaginaire du monde est clivé en deux. Le Monde s’exprime par deux visions qui portent pour nom « Kanaky » et « Nouvelle-Calédonie française ». 

Et là, au moment où je fais ce petit rappel géopolitique, je ne puis m’empêcher de penser à ces jeunes Kanak tués, privés de leur vie, parce que des crapules haineuses en ont décidé ainsi au nom de la Nouvelle-Calédonie française. Fleurs jonchées à même le sol urbain de Nouméa, privées de vie, de leur vie, à peine âgées de 17, 18 ou 19 ans, une mort décidée par des étranges étrangers excentrés de leur France. Des abrutis sûrs de leurs convictions suprématistes, racistes et fachistes, qui décrètent de faire justice. Si grande soit l’envergure et l’entreprise métaphysique de Badiou, nous ne vivons pas dans le même Monde.  Ces pro-français, au nom de leur France – une France qui risque d’être gouvernée par l’extrême-droite le 7 juillet au soir, mais que savent-ils ces canailles surarmées de la beauté de Kanaky ? Sont-ils capables d’admirer les cieux éthérés à l’aurore pourpres au crépuscule ?  Perçoivent-ils l’éclat irradiant du Soleil et savent-ils apprécier les différents degrés des lumières de Kanaky ? Leurs yeux bornés, aveuglés par la haine et la méchanceté, ne voient-ils que l’ombre de leur ombre ? Ces pourceaux ne se repaissent-ils que des appâts et artifices des paradis fiscaux, encerclés et gardés des forteresses mentales et matérielles ? Chiens de garde, milices agressifs, forces de l’ordre à la solde d’un État partial et martial, couverts par les lois dites républicaines, qui leur donnent raison. Immonde est le colonialisme. Ses ramifications vénéneuses empoisonnent la vie et enveniment de leurs pollutions pestilentielles les civilisations et populations. Immonde est l’expansion du Capital qui démolit le Beau qui amplifie les urbanismes laids et ignobles. Nous ne sommes plus dans la logique des mondes. Mais bel et bien dans la logique de l’Immonde.

Rumeur 

La Nouvelle-Calédonie est un pays où la rumeur est une institution. Parodiant Cornelius Castoriadis, la rumeur est une institution imaginaire de la société. Ce pourquoi les philosophies kanak implicites aux discours opposent « bonne » à « mauvaise » parole. La mauvaise parole produit de la discorde et de la haine. La bonne parole unifie et créé de la concorde. Toute action doit être soutenue par une bonne parole. Une parole de guerre forcément se fonde sur la rumeur en tant que celle-ci est un pouvoir envoûtant de nuisance. Le monde kanak parle de « boucan » pour désigner une parole maléfique induisant des dérégulations des comportements où les sujets sont en proie aux délires et aux mauvaises paroles. Jusque dans le silence, ça bruit de mots, de ragots, de perfidies, de calomnies, de propos diffamants, d’analyses produites de ressentiments, rancœurs, règlements de compte. Avec les technologies des capitalismes de surveillance, les prétendus réseaux sociaux reproduisent « bonnes » ou « mauvaises » paroles. On s’en fiche un peu des facéties du philosophe Michel Serres académicien qui francise, ou montre les équivalents en langue française, des mots américains ou anglais « globish », tel que gazouiller pour twitter etc.  La rumeur se propage aussi dans le monde calédonien. Elle s’exerce à tous les niveaux et infiltre tous les pores de la société. Une rumeur sur la baisse des salaires oblige les syndicats à demander un rendez-vous avec le gouvernement local. Rumeur fondée dans la mesure où après rendez-vous les syndicats sont sommés de participer à l’effort de restriction salariale pour surmonter les déficits des comptes. Les banques sont-elles épargnées par l’effort de solidarité nationale ?  

Partout, la rumeur se propage à travers maisons européennes, cases kanak, rues de Nouméa, chemins des tribus. Elle court, circule en tous points, bruissant du bruit du boucan rendant fou et folle chacun chacune. Semant l’angoisse, l’anxiété, l’insécurité. Elle envenime et se fait passer pour parole souveraine. Elle dissémine l’esprit critique, attise la colère et infiltre la critique pour en faire un perpétuel soupçon, une dissimulation des on-dit. 

Ces guerres des communiqués, l’ampleur des pressions médiatiques, font partie de ces rumeurs et des propagandes mensongères. Yves Dupas, sous couvert d’objectivité, occupe les médias en vue de justifier l’ordre arbitraire qui substitue l’équité et l’équilibre de la justice par les déséquilibres institués des appareils judiciaires. La justice est du côté du manche. Une chanson kanéka (musique populaire kanak) scande un refrain connu ici « à bas la justice coloniale ». Le procureur se couvre d’une autorité abusive.  Il réussit à faire croire à l’opinion « blanche » que l’autoritarisme est une autorité neutre et impartiale. Marteler l’opinion pour en faire un relais de la servilité volontaire qui ânonne le sermon sur la justesse de l’autorité. 

L’opinion est fabriquée, préfabriquée, façonnée et malfaçonnée. L’histoire de la Nouvelle-Calédonie n’a jamais été une histoire neutre et objective. L’objectivité n’existe pas. Ni son contraire la subjectivité. N’importe quel intellectuel rigoureux connait ce paradoxe :  plus je fouille et recherche la vérité à partir de ma subjectivité, plus je m’approche de l’objectivité. Ici nul n’a le courage de la vérité de parler à partir du tréfonds de sa propre subjectivité. La rumeur du ragot s’exprime à travers l’ego ou le « je » qui n’est rien d’autre que le média d’un puissant courant d’opinions entretenues et malveillantes. La manière de dire compte plus que l’objet exprimé. L’objectivité n’existe jamais. 

Ces murmures infamants se logent au fond des inconscients et finissent par faire le lit des médiocrités et des malveillances. La terreur instituée par l’État produit un climat anxiogène favorable aux psychoses, bouffées délirantes, mauvaises paroles et discordes semant zizanies provoquées par les malfaiteurs. Les corrupteurs ont intérêt à jeter de la confusion pour dissimuler leurs magouilles.

Il n’est pas un jour, une nuit, une heure, une seconde où la rumeur ne cesse de se propager sous des visages hybrides et multiformes.

La force de la parole

Pierre Bourdieu, célèbre sociologue français, tardivement s’était engagé vers la fin de sa carrière. Il produisait des contre-feux pour éteindre l’incendie des capitalismes. Ses petits livres destinés à un public élargi, notamment celui sur la télévision, sont tous des contre-feux. En Nouvelle-Calédonie, en Brousse, lorsque la saison sèche arrive et où l’eau se fait rare, on lutte contre la propagation des incendies par des contre-feux. 

Enseignant au lycée et dans un institut de formation des maîtres, je fus en proie aux rumeurs diffamantes pour nuire à mon travail critique. Les ennemis me taillaient un portrait négatif jusqu’ à vouloir me traduire en conseil de discipline à maintes reprises. J’utilisais la technique de l’encerclement de la provenance de ces diffamations. Par une stratégie de culture et de communication, je prenais à bras le corps l’énoncé déformé et j’en faisais un objet de cours de philosophie. Les étudiant.e.s étaient demandeur.e.s dans la mesure où dans leur futur métier d’enseignant.e.s, ils/elles ne seraient pas à l’abri des risques du métier, et à leur tour être objet d’harcèlements, d’attaques nuisibles par les puissants qui utilisent l’autorité de l’institution pour nuire et détruire. 

Dans l’univers culturel kanak, la parole, se ressource à ce qui est vrai, entretient un rapport de soi à soi et de soi aux autres et devient une relation de justesse et d’harmonie. Elle circule selon les chemins de communication tracés par les histoires. La parole forte clarifie et tue à la base les obscures déviances des mauvaises paroles. 

Ce pourquoi j’écris ces chroniques qui essaient d’être de l’information critique. C’est une arme, une stratégie nécessaire. 

Les Français d’ici nous intoxiquent avec leur idée de la France. Prenons-les au pied de la lettre et parlons vraiment de la France !  Non de la leur, de la France australe. De Michel Foucault, Pierre Bourdieu, et Alain Badiou et non des saltimbanques et de ces manches médiatisés à outrance.

Un jour, une journaliste se faisait l’écho du Vice-Rectorat (ici pas de Rectorat mais un doublon dénommé Vice-Rectorat) et me reprochait d’avoir publié en 1999 un essai encore d’actualité sur l’échec scolaire calédonien disant que si j’avais écrit ce livre c’est parce que j’étais fils de travailleurs immigrés algériens. 

Devant de telles rumeurs, la contre-rumeur. Nous étions en 1999, avec la vague dite « Black Blanc Beur », suite à la victoire de l’équipe de France en 1998 de la coupe du monde de football. Je lui répliquais, la reprenant sur son propre terrain, que j’étais français… comme Zidane. 

Le rôle d’un intellectuel (artiste, philosophe, militant, scientifique, citoyen, etc.) est d’exercer de manière critique ce pari politique sur l’intelligence.  Nous n’avons aucune chance dans les rapports de force physique. Nous ne faisons pas le poids devant les puissances militaires et les machines mises en place par les capitalismes financiers. 

Mais nous avons la parole. La parole au sens extensif de puissance de vie et de pensée.

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