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Jeudi 30 mai. Nouméa. Chronique d'Hamid Mokaddem

Publié le 30 Mai 2024 par Hamid Mokaddem in Kanaky Nouvelle Calédonie

Jeudi 30 mai. Nouméa. Chronique d'Hamid Mokaddem
Jeudi 30 mai. Nouméa. Chronique d'Hamid Mokaddem
Jeudi 30 mai. Nouméa. Chronique d'Hamid Mokaddem

Jeudi 30 mai 2024

L’image du kaléidoscope

Avant d’en venir à la signification et symbolique du drapeau Kanaky, je tiens à théoriser un peu la chronique.

Je ne voudrais pas qu’au nom du global et de l’universel, on réduise mon propos à du particulier. Ce que je décris est glocalisé. C’est-à-dire que l’arrière-plan local est global. A Pont des Français, on trouve ce qui se joue ailleurs pour l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie. J’ajouterai que “Kanaky-Nouvelle-Calédonie” est projeté au niveau mondial. Les expansions capitalistes, puissances aux visages multiples (colonialisme, post-colonialisme, modernité, consumérisme, vie chère, malvivre, surveillance numérique mondialisée etc.), marginalisent et mettent au ban des populations dont les jeunes Kanak urbanisés.

Les barrages filtrants, opposés aux barricades-forteresses, reproduisent les cartographies inégalitaires. Le clivage économique se décalque sur les démarcations des communautés “ethniques”, pour paraphraser le lexique des démographes. La géopolitique de Nouméa, avec ses quartiers sud, ses quartiers nord, ses zones périphériques et l’agglomération du Grand-Nouméa, Païta, Dumbéa et Mont-Dore, nous oblige à proposer un schéma plus explicatif.

Le barrage filtrant de Petite Normandie se situe entre la zone industrielle commerciale de Normandie et le quartier résidentiel de Tina sur mer. Les barricades-forteresses, protections des riches, a des airs de familles avec les résidences  protégées par la police et l’armée contre les plèbes des favelas à Rio de Janeiro au Brésil ou celle des gardiens assurant la sécurité des hôtels de luxe à Hammamet en Tunisie. 

A Kamaré, autre quartier nord, proche de la zone industrielle de Ducos, la villa d’un entrepreneur du BTP a brûlé. Les usines, entreprises, commerces sont situées aux zones industrielles de Normandie ou Ducos. Mais plupart des patrons vivent dans les quartiers résidentiels. Il y a bien entendu des exceptions. Petite Normandie en fait partie; le quartier contient squatts, lotissements et villas. Mais à grands traits, on retrouve la même répartition matérialisé et territorialisée opposant barrages filtrants et barricades-forteresses. 

Dans un essai sur la production de l’échec scolaire calédonien, j’avais utilisé l’image du kaléidoscope. Selon la position, le kaléidoscope fait varier les paramètres des causes de l’échec. La variation des paramètres est en rapport avec la géographie scolaire. Je cite un extrait : 

Si l’on veut donner l’image d’un schéma de l’échec scolaire calédonien, le kaléidoscope serait parfait. En effet, la géographie de l’école, qui est aussi une géographie culturelle,  fait varier la combinaison des variables (idéologique, linguistique, anthropologique, économique et politique).La difficulté de traitement de l’échec scolaire provient du fait qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’appliquer une méthode identique à toutes les configurations géographiques.  L’adaptation de l’instituteur ou du professeur des écoles devient indispensable. Nous ne sommes plus dans le domaine du politique mais dans celui de l’éthique du savoir*.

Retour au réelMais basta ! Retournons au barrage!

Je déambulais, ce matin, en direction de la carrière du Pont des Français. Des caniches curieusement sortis de leur villa, alors que d’habitude, ils se terrent dans les maisons de leur propriétaire. L’un d’eux, par peur, m’aboyait dessus. Je continuais ma route. Cette fois-ci, plus haut, je croisais une meute impressionnante de bâtards. 

Je retournais sur mes pas pour rejoindre le barrage.

Un gars originaire de Poum (extrème nord de l’archipel), ouvrier à Koniambo, l’usine du Nord, me dit que les explosions des lacrymogènes cette nuit provenaient de la tribu de Conception. Une voiture balisée de policiers en civil était revenue à la charge près du barrage : “ Vous tenez encore ce barrage????” Heureusement, me dit-il, que les jeunes dormaient, me montrant trois d’entre eux assoupis sur des lits improvisés. 

On discute politique. Son analyse percutante pourfend les enfumades politiciennes médiatiques. J’essaie de la reproduire de manière simplifiée.

“A Nouméa, y a pas de fusils entre les mains des Kanak”; les morts l’ont été du fait des miliciens ou des garde-mobiles eux-mêmes. Le premier mobile pourchassait derrière les blindés des jeunes encerclés. L’un des jeunes visait le bas du blindé. La balle a ricoché frappant à la tête le gendarme. Le second s’est fait tirer par un de ses collègues paniqué. Ces mobiles s’attendaient à tout sauf à trouver des gosses leur jetant des cailloux. Si l’action se poursuit en Province nord, ce sera une autre histoire. Les Kanak, sur les mines de nickel, ont des fusils et savent s’en servir. Ce sera la guerre. On passera de Nouméa où les armes sont entre les mains des “Blancs” en territoire kanak où les Kanak armés ne se laisseront pas tirer dessus comme des lapins. 

La CCAT est liée à l’UC (Union calédonienne) mais le FLNKS est composé de plusieurs partis politiques : le Palika (Parti de libération kanak), l’UPM (Union progressiste en Mélanésie) et le RDO (Rassemblement démocratique océanien). Le Palika anime le bureau politique du FLNKS. Pour que la décision soit commune, avant l’entrée dans les discussions avec les partis politiques de droite anti-indépendantistes, il faut le temps du palabre. La communication se déroulera en circulant de barrage en barrage. Le temps de concertation kanak océanien ne correpond pas au temps du calendrier politique de l’Etat et des élections européennes. 

Par ailleurs, dans le cadre des négociations, le nickel et la jeunesse devront être intégrés aux négociations.

La France transforme la Nouvelle-Calédonie en morceau de France, la “France australe” selon le discours prononcé par De Gaulle à Nouméa en 1966. La France reconfigure la donne politique infléchissant le calendrier électoral et modifiant le corps électoral pour redonner le pouvoir institutionnel aux Français de la France australe qui imposent leurs modéles économiques. Ainsi le pacte nickel de Bruno Lemaire, ministre des finances et de l’industrie. La France veut empêcher la souveraineté économique de Kanaky. Elle empêche la “doctrine nickel”, soutenu par Paul Néaoutyine, président de la Province Nord. Elle endette pour asservir la Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, présidé pour la première fois par Louis Mapou, un élu indépendantiste,  hérite d’une gestion de clientélisme faisant le lit des entreprises, commerces et industries subventionnés par la puissance publique. Le patronnat soutient les élus locaux (Sonia Backès entre autre) pour faire leur économie. Christian Tein, le leader du CCAT, indique que 60% de l’économie coloniale a brûlé. En effet, toutes ces zones commerciales et industrielles ont été visées. 

La France veut utiliser l’archipel et le découpe pour l’axe indo-pacifique et ses propres intérêts. Toutes les populations kanak essentiellement jeunes sont exclues et se sont révoltées contre ce système inique outrecuidant de profits. 

Ce qui est dit de la machine économique doit l’être de la machine scolaire. Les raisons de la colère des jeunes Kanak diplômés, d’autres désoeuvrés scolaires et les quelques autres milliers qui ne cessent de faire des allers retours entre prisons et squatts. Les jeunes, réprimés par la justice, sont atypiques nous dit à la télévision une magistrate. La majeure partie n’ont aucun casier judiciaire et sont tous ou presque diplômés. Une chose est sûre : Nous n’avons pas affaire aux “délinquants” et “voyous”.

*Hamid Mokaddem, L’échec scolaire calédonien, Paris,1999, L’Harmattan, coll. « Mondes océaniens ».

 

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