Tassadit Yacine-Titouh & Jérémy Beschon
La conteuse est « Settoute », d'abord première Mère du Monde kabyle, puis sorcière... Celle- ci fut jadis déchue, ce qui donna aux hommes le prétexte pour dominer les femmes et le monde. Elle a vu l'Histoire de la méditerranée depuis la Kabylie. D'après elle, nous ne sommes guère différents de nos ancêtres. En ce temps là, les animaux parlaient encore comme vous et moi... le Lion avait le pouvoir ; Chacal était sa couverture, son conseiller en quelque sorte ; et le Hérisson avait toujours une ruse qu'il prêtait à ses amis.
A travers ces histoires fabuleuses, qui se sont déroulées sur une terre que l'on nomme aujourd'hui Algérie, nous comprendrons peut être mieux qui nous sommes, et pourquoi nous continuons de nous entre-dévorer.
Spectacle tout public
Durée : 1 H
Virginie Aimone, Jeremy Beschon et Tassadit Yacine-Titouh se sont déjà associés pour l'adaptation théâtrale de La Domination Masculine de Pierre Bourdieu. Leur nouvelle création propose une véritable clef de lecture de nos rapports sociaux et nos structures mentales à partir des fables et des mythes de la société kabyle.
Texte : Jeremy Beschon
d'après Tassadit Yacine-Titouh et Brahim Zellal.
Mise en scène : Jeremy Beschon
Comédienne : Virginie Aimone
Musique et son : Franck Vrahidès
Lumière : Flore Marvaud
Costume : Aurore Melloni
la représentation peut être suivie d'un débat
en coproduction avec la Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration
et le soutien de la Ville de Marseille
Tassadit Yacine-Titouh :
Directrice d’études à l’EHESS
chercheuse au Laboratoire d’anthropologie sociale,
Directrice de la revue Awal, Cahiers d’études berbères
de la Maison des sciences de l’homme.
Elle est l’auteur de nombreux ouvrages
dont "Si tu m'aimes, guerris moi !" ed MSH)
et d'articles (dans le Monde Diplomatique, Libération, Le Nouvel Observateur...)
« C’est en exil et par l’exil que j’ai découvert et compris le monde des fables et leur fabuleuse richesse, les fables enseignent à chacun comment reconnaître sa place et savoir la garder ».
Ces récits que les berbères ont connus dans leur enfance re font assurément surface dans cet espace de la domination qu’est l’exil. Cet univers où l’on est seul face à un monde étranger. Comment résistent-ils à la perte de soi ? au désespoir ? à la folie peut-être ?
Nous avons pensé que les ressorts sont culturels. Chacun d’eux a intériorisé tout jeune les schèmes de la survie et les modes de fonctionnement du jeu social.
La fable de l’exil ne relate pas seulement l’exil extérieur, mais cet exil intérieur lové en chacun d’eux (chacun de nous) en fonction des positions qu’on adopte selon son genre (masculin / féminin) selon sa taille (fort / faible) selon son âge (grand / petit) (vieux/ jeune) mais aussi en fonction de sa capacité à comprendre la société et le monde.
Confronté à l’école de la vie, l’exil détient cette batterie incroyable de possibilités qui vont caractériser sa vie face au rapport de domination. Dès lors que le mythe est encore vivant dans les mémoires, la force de frappe du dominant ne l’atteint pas au cœur parce qu’il est mentalement armé pour lui résister.
Mettre en scène les fables maghrébines vise plusieurs objectifs :
> le premier consiste à réconcilier les Nords Africains avec leur culture d’origine et à leur mettre le doigt sur la richesse profonde qu’elles recèlent.
> Le deuxième à faire découvrir aux Français que les immigrés (non lettrés en français) détiennent un savoir très riche. Ce dernier leur permet de saisir les violences du monde moderne.
> Le troisième, la fable enseigne à tous la réalité du monde (un monde sans artifice) et que l’intelligent gagne toujours fût-il petit par sa taille (le hérisson face au chacal), que le pouvoir n’est pas une affaire de généalogie mais une élection par la base.
But recherché : notre message est de montrer comment l’exil incarne la fable dès lors qu’elle est fondée sur une philosophie lointaine qui remonte jusqu’à Adam et Eve (Adam a crée Le lion, c’est à dire le pouvoir et Eve a crée le chacal c'est-à-dire la subordination) en passant par les différentes conversions du chacal : juif dans une première période (fils de Jacob) et musulman par la suite (il s’appelle Si Mohammed) tandis que le hérisson (attaché à la terre) a un prénom berbère (Mohand). Les fables montrent cette division du pouvoir réel et symbolique qui est aussi fonctionnel dans la société.
Enfin nous voudrions montrer que la fable est aussi « fabula » et, par extension, fabulation… La fable de ceux qui arrivent et de ceux qui repartent, ceux qui racontent et se racontent (le plus souvent des histoires). L’exil n’est-il pas une fiction, un mensonge selon Abdelmalek Sayad. Rien n’est vrai dans la bouche de ceux qui arrivent au pays : ce sont des chacals qui racontent le monde à leur manière, manière de cacher l’échec pour le transformer en victoire.
Fabulation double : ils racontent la fable du paradis perdu celle du (pays avec ses vertes prairies, sa solidarité exemplaire) et celle du pays de l’immigration : où l’argent fleurit ?
Moralité : les fables racontent un monde ancré dans une réalité qu’il faut savoir décoder mais elles jettent le trouble (comme le chacal) dès que les outils qui fondent les soubassements d’une société ont été égarés. A l’instar du chacal cet être double à l’intelligence positive et négative, il peut sauver comme perdre le monde.
source http://manifesterien.over-blog.com/pages/CHACAL_la_fable_de_lexil-6004182.html