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 la courte échelle. éditions transit

éditeur solidaire et associatif, art et politique,

Brahim Hadj Slimane. Poète, dramaturge, cinéaste...

Publié le 19 Janvier 2013 par transit. la courte échelle in Presse

Interview au quotidien algérien El-Watan

 

«D’abord, je suis un explorateur»

le 19.01.13 |  

          
Rencontre avec ce multi-artiste qui apparaît comme un adolescent assoiffé d’art.
 
- Poésie, théâtre, documentaire, critique littéraire, mise en scène… Vous avez abordé la culture par de nombreux versants. D’où vous viennent cette soif et ce désir de brasser large ?

En tout cas, toutes mes démarches, créations et autres formes d’expressions artistiques sont issues de mes profondeurs et répondent à des besoins, voire des urgences, des appels, à la fois personnels, intimes et sociaux. S’il fallait désigner un fil conducteur, je crois que je suis obsédé par mon pays, ma terre natale, que je tente d’exprimer à travers divers registres, langages  et domaines de création. Pourquoi cette diversité ? D’abord, je suis un explorateur, un peu assoiffé de découvertes et de renouvellement de mes sensations, de mon regard et de mon point de vue sur ma société, ses femmes, ses hommes, et le monde, autant que possible. J’ai eu la chance d’avoir été élevé et éduqué par mes maîtres et aînés à l’école du doute et de l’esprit critique. Malheureusement, ces valeurs se raréfient dans cette époque où prolifèrent la médiocrité et la suffisance.

- Une telle diversité ne pourrait-elle pas être assimilée à de l’éclectisme ?
 
Je ne vous apprendrai pas que la division, la spécialisation et le cloisonnement entre les genres et les formes de création artistique sont un produit historique et ne sont ni immuables ni porteurs de vérité absolue. Il se trouve que je m’inscris dans une tradition de créateurs qui ont tenté d’abattre les cloisons. A commencer par Kateb Yacine auprès de qui je me ressource tout le temps, que je ressens comme un frère aîné et que j’évoque régulièrement pour tenter de le sauver de l’oubli. Par exemple, je déclame partout sa poésie. Sans le mythifier nullement, il exprime pour moi une certaine Algérie qui m’habite, une utopie aussi. Splendide, merveilleuse... D’un autre côté, pour avoir exploré sa vie palpitante, sa souffrance me touche et la mienne lui ressemble. Nous subissons à peu près les mêmes oppressions.    

  - Mais n’avez-vous jamais craint l’éparpillement ?
 
Non. Pas du tout. A la base, ce que j’exprime ne m’est pas extérieur et ne répond à aucune exigence de marché ou mode ou fantasme du moment. Je ne suis pas un commerçant de la culture. Je veux exprimer mon pays et surtout ce que j’appelle les «sans-voix». Maintenant, il se trouve que, selon le cas et le moment, une forme de création peut s’avérer plus appropriée qu’une autre. C’est comme si elle s’imposait d’elle-même. En ce moment, je me suis plongé dans le cinéma documentaire. C’est un besoin qui remonte à loin, puisque j’ai été animateur de ciné-club dans une autre vie. Je suis sociologue de formation et journaliste de métier. Donc, le fait d’aller vers le film documentaire n’est pas gratuit. Pour moi, il coule de source.     

- Quelle expression pourrait vous qualifier ? Agitateur culturel, médiateur de sens…
 
Militant culturel plutôt, même si cette expression a été galvaudée et peut paraître anachronique. Pour moi, la culture doit toujours contribuer à changer, à faire évoluer la société dans le sens d’une libération des oppressions et d’une émancipation, d’un épanouissement des individus, des peuples…       

- Dans votre activité plurielle, est-ce vrai de dire que la poésie est votre muse préférée, le cœur de votre expression ?

Oui, cet exact. Mais je ne suis pas unique. Quelles que soient leurs disciplines, la plupart des créateurs sont, d’une manière ou d’une autre, des poètes. Certains le montrent plus que d’autres, c’est tout. La monteuse de Jean-Luc Godard disait, dans un numéro spécial des «Cahiers du Cinéma» sur ce réalisateur, que, pour elle, celui-ci était d’abord un poète. Ne parlons pas alors de Buñuel, Pasolini, Garcia Lorca et d’autres encore…                

- En poésie, quels sont vos auteurs de référence, ceux qui vous ont amené à cet art du verbe ?
 
Surtout ceux qu’ont appelle les «poètes maudits» : Rimbaud, Baudelaire, Lautréamont, Gérard de Nerval… Mais également, et bien entendu, Kateb Yacine, Jean Sénac, Mohamed Kheïreddine, Mahmoud Darwich. Je ne peux pas tous les citer. A un autre niveau, depuis un certain moment, je me situe dans la chaîne de mes ancêtres mystiques qui remontent au soufisme et à l’Andalousie musulmane. D’ailleurs, on m’a prénommé en hommage à Sidi Brahim El Masmoudi, un saint savant de Tlemcen de l’époque des Zianides. Donc, il faut que j’assure
 (sourire) !         

- Comment voyez-vous l’avenir de la poésie dans ce monde si mouvant et si différent ?
 
Sa voix est étouffée par le vacarme des guerres et des caisses enregistreuses. Je ne sais pas pourquoi – enfin, si, je le sais ! – mais je viens de penser à l’album Money des Pink Floyd. La poésie demeure et revient toujours à la charge. Elle est impérissable.  

 - Vous parliez de votre expérience d’animateur de ciné-club. Que vous a-t-elle apporté ?
 
Une passion pour le cinéma et, bien plus, un regard sur la vie et le monde. Sans parler d’amitiés parmi les réalisateurs et les comédiens. Une ouverture sur le journalisme, par ailleurs, puisque mes premiers articles dans la presse (j’étais encore adolescent) étaient consacrés au cinéma.        

- En 2012, vous avez mis en scène votre pièce, L’Archipel des Chaos à Montpellier...
 
En fait, j’ai contribué à cette pièce de Frédéric Darcy qui est un auteur français, proche du grand poète et homme de théâtre, Armand  Gatti. Ma contribution a été un grand tableau (quasiment une pièce embryonnaire) dans lequel je reviens sur la guerre civile des années quatre-vingt dix.         

- Vous avez consacré à Kateb Yacine un spectacle, un documentaire et plusieurs hommages. Selon vous, que représente-t-il aujourd’hui ?
 
Un créateur de génie, doublé d’un homme  d’une humilité et une pudeur désarmante.  Mais il reste méconnu et n’a rien perdu de sa charge dérangeante pour l’establishment.    

- Vous êtes d’un enthousiasme créatif que rien ne semble arrêter. D’où puisez-vous cette énergie qui détonne ?
 
Je vis et me sens constamment dans l’urgence. Je suis dépassé par un bouillonnement intérieur qui me squatte perpétuellement et maintenant j’ai rejoint le peuple des insomniaques. C’est vous dire que je suis cerné.          

- Quelles prochaines œuvres en projet ? Poèmes, film, pièce de théâtre… ? 
 
Un recueil (29 Visions dans l’exil) vient d’être réédité à Marseille. Je viens d’en achever un autre avec un ami marseillais, Marc Mercier. J’ai fini un documentaire, A la recherche des savants paysans (titre en hommage à Fanny Colonna).  Je suis sur autre documentaire, Exils intérieurs, exils extérieurs. J'ai monté aussi un spectacle dans l’esprit du Cinquantenaire de l’Indépendance, Un jardin parmi les flammes (vers de Ibn Arabi). Nous l’avons donné trois fois et il fait son chemin. J’ai follement envie de faire monter d’anciennes moudjahidate sur scène, déclamer des poèmes et chanter. Notamment Djamila Bouhired qui est toujours belle.

Repères :

Né en 1955 à Tlemcen, Brahim Hadj Slimane a étudié la sociologie. Dans les années ’70, il anime des ciné-clubs et devient membre de la direction de la Fédération algérienne des ciné-clubs. Une bonne partie de son parcours est liée au journalisme culturel : Les Deux Ecrans, El Moudjahid, Algérie-Actualité, La Tribune, El Watan, Le Siècle…

En 1981, il fonde la revue littéraire Voix Multiples. Il a travaillé également pour la Radio Algérienne (chaîne 3) et Radio France Internationale. Il a créé et mis en scène plusieurs œuvres consacrées à Kateb Yacine : les spectacles littéraires Les Insulaires (1999) et L’Etoile assombrie (2009) ainsi que le documentaire La troisième vie de Kateb Yacine (2009).

En 2012, il coorganise l’hommage à cet écrivain au Polygone Etoilé de Marseille. Il a participé à six ouvrages sur l’art et la culture et a écrit deux recueils de poèmes : 29 visions dans l’exil (Ed. Tira, Béjaïa, 2009, réédition à La Courte échelle, Marseille) ainsi que Baghdad-Boumerdès (Ed. du Cygne, Paris, 2010, prochainement aux Ed. Espace Libre, Alger).

En 2010, il a obtenu le Premier Prix de Poésie du concours international de la Ville d’Alger. En 2012, il a contribué à la pièce L’Archipel des Chaos au Théâtre Jean Vilar de Montpellier et créé le spectacle poétique Un Jardin parmi les flammes. On lui doit les documentaires Wahran, Wahran (2010) et A la recherche des ancêtres (2012). Il est aussi l’organisateur et l’animateur de nombreuses manifestations culturelles et artistiques.

ASSIA HOUNNED

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