Jeudi 25 mai
Ravitaillement
Dès la levée du couvre-feu, je sors à pied puis retourne prendre le scooter pour faire le plein auprès d’une station. Devant Korail normandie, des vigiles surarmés. J’ai pris quelques clichés. Le barrage filtrant avec les anciens du quartier me proposent de boire le café. Plus tard, on fait la chaîne pour stocker les paquets de riz et de farine au magazin. Cris de joie des gens. Petites scènes de la vie quotidienne.
Vendredi 24 mai
Incendies
Cette nuit, nous sommes réveillés par des bruits d’explosion. Certains “jeunes” ont commis un homejacking chez le voisin dont la maison donne sur la rue Yvon Jeaunau. Ils ont sorti la voiture, l’ont incendié et la carcasse servira à un barrage. Ou l’ont-ils brûlé n’ayant pu la voler selon le voision Cedrik. Olivier, autre voisin, a en vain alerté par téléphone la police et les pompiers. Les services de police ne se déplacent pas dans les quartiers nord tel celui de Normandie. Les pompiers ne sont pas sécurisés. Ceci se passe au moment où le chef de l’Etat, épaulé de trois ministres, sont à Nouméa en train de je ne sais trop quoi faire. Le discours de Macron est du même niveau que celui du haussaire : inajusté, inapproprié, à côté de la situation. Il n’écoute pas. Comment instituer un dialogue avec le monologue d’un souverain entêté. Où est la démocratie?
Il est 4h15 du matin. J’attends la levée du couvre-feu pour photographier la carcasse du véhicule et l’imprimerie Graphoprint qui aurait brûlé cette nuit. Les incendies continuent. Nous ne sommes pas sortis de l’impasse.
Matthieu S. me fait part d’une lettre de son père. Très bien écrite sur la critique des experts parlant de colonisation en Nouvelle-Calédonie. Je ne vais pas entrer dans ces jeux sachant qu’ici on essuie les conséquences du monolinguisme macronien.
Langue de l’autre
En Nouvelle-Calédonie, la langue de pouvoir est le français. Par pouvoir, on doit être foucaldien et désigner les multiplicités des rapports qui traversent de part en part les institutions, les épaisseurs du pli social. Ainsi le français de communication est un parlêtre. Mais les divisions sont instituées aussi par les langues segmentées, pratiquées par les groupes et pays kanak. Sans compter le parler polynésien (tahitien, wallisien et futunien) qui n’est pas négligeable. La question se pose d’une charte nationale, de son discours, de son dit, je dirai de sa disibilité. En français? Aucune langue kanak n’est transersale et se singularise par pays et segments de pli social.
Comment exprimer les nuances et subtilités par exemple du rapport amoureux ou esthétique? Il y a certes quelques écrivains comme Déwé Gorodé. Est-elle transersale? Je veux dire par là ceci : sa puissance créatrice produit-elle un rayonnement ? Hugo, Voltaire, Zola ne sont pas lus par la majeure partie des Français. Leur nom a un rayonnement. Oui peut-être Tjibaou et sa rhétorique orale profondément kanak. Ceci est important. Le rapport de pouvoir par la langue. Les anciens n’ont aucune emprise sur les jeunes. Ils ne sont plus dans leur écoute.
Macron et ses deux acolytes Darmanin et Lecornu : aucune envergure, aucun charisme, aucune parole. Vacuité du discours. La redondance du monologue de ce qu’il y a de plus pire dans une langue, le monolinguisme du même et de l’autre, n’en déplaise à Derrida, qui a eu ce mérite de poser la question pour l’Algérie.
J’y reviendrai.
Soirée du vendredi 24 mai
Après une réunion de voisinnage suite à la nuit mouvementée, j’entends à la radio une sublime chanson.
De la radio de Kanaky Radio Djiido, une voix presque céleste chante en français et nengone (langue parlée dans l’île de Maré). La Beauté procure à l’âme, paix, paisibilité, douceur, apaisement. L’arpège de la guitare en harmonie avec le chœur et la voix du chanteur compose une orchestration sublime. L’art est puissance d’exister, de paix.
Puisse reposer en paix ces vies volées, ces gaspillages, ces destructions qui ne sont pas l’expression de vie océanienne.
J’apprends une septième mort aujourd’hui.