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 la courte échelle. éditions transit

éditeur solidaire et associatif, art et politique,

Brise 2 Politique Esthétique Culture. Sur Dewe Gorodey

Publié le 11 Septembre 2022 par la courte échelle. éditions transit

Dans la continuité de Brise 1, je voudrais montrer comment Politique Esthétique Culture se déclinent en trois dimensions superposées sur un même plan. La dimension politique. Le trajet politique exemplaire est admirable. La plupart du temps, les trajectoires révolutionnaires échouent en carrières de bureaucrates mortifères. Toutes les ex-puissances coloniales transforment les anciens colonisés révolutionnaires d’hier en technocrates pugnaces d’aujourd’hui. Le mouvement révolutionnaire se convertit en machiavélique puissance d’inertie. Déwé échappe à ces mimétismes et singeries de l’empire. Sa contestation interpelle et critique l’administration obligée d’innover. Du Camp-Est au Gouvernement, certains esprits glousseront de rire. N’est-elle pas tombée d’une prison à une autre ? Je ne le crois pas. Sa trajectoire ne dévie jamais. Au contraire, elle poursuit de manière fidèle une vision du monde. Oui ici on est en droit d’invoquer l’imagination au pouvoir. L’expérience du monde parcouru pour représenter les femmes et faire part de la lutte kanak – expérience du monde continuée à l’occasion de ses missions – enrichissait et nourrissait son action. Elle contribua à produire, construire, créer une image culturelle consistante mondialisée de la NouvelleCalédonie. En fait, qu’est-ce qu’une nation, une souveraineté, un État-nation, sans saveur culturelle,sans imaginaire historico-culturel ? Une coquille vide. Un coco à la dérive. Une épave, au sens conféré par son premier roman édité à Nouméa par Gilbert Bladinières. Les querelles des partis rivaux paraissent secondaires en comparaison des airs de famille entre Jean-Marie Tjibaou et Déwé Gorodé. En effet, rares sont les révolutions culturelles qui ne basculent en pouvoir bureaucratique. En Nouvelle-Calédonie, deux politiques kanak ont réussi à réciproquer politique et culture et portent pour nom Tjibaou et Gorodé. La dimension esthétique La dimension esthétique est superposée enchevêtrée. J’entends par esthétique non pas une classification académique. Mais un art de vivre, une façon de faire, en définitive une manière d’être au monde. Il faudrait évoquer son style. Unique singulier inouï. Le style de Déwé est inimitable. Autant par l’écriture que par la manière de gouverner. Elle inscrit l’écriture par un considérable travail de la langue française dans l’espace littéraire. On ne me fera pas croire que créer un espace littéraire pour une femme minorée marginalisée par l’ordre colonial n’est pas un acte politique. Il serait comique de ranger son art aux rayons culturels mondains des potiches nouméennes. L’art d’écrire de Déwé dérange percute de poésie et poétise un monde déstructuré. Sous les cendres des conques, l’artiste recrée la parole rituelle décomposée. Elle conjugue art de la gouaille, beauté du monde et parle de la présence de la mort, de la maladie. Je suis étonné, en relisant certains textes, de la présence de la maladie, de la mort, mais apprivoisées. La mort est là. La maladie ronge de l’intérieur. Elle sut harmoniser et composer avec les forces de la destruction. Elle le fait avec l’écriture. Il règne à la lecture une présence. La présence kanak bien entendu. Mais aussi la présence du monde. Son écriture est une esthétique du réel. J’aurais l’occasion de revenir avec soin sur l’étonnante musicalité de ces textes. La dimension culturelle Enfin la dimension culturelle traverse de part en part ce monument politico-littéraire. La culture n’est pas le faux-semblant de la coutume. Elle ironisait dans une de ses pierres polies en courtes sentences de Par les temps qui courent : Il y en a qui vont à la coutume comme à la fête. Profiter, s’amuser, s’oublier et oublier les valeurs solidaires du travail, du don, de l’échange. La culture kanak est une circularité d’interdépendances où l’autre est transmué en même. Kiki Karré, animateur culturel disparu, actualisait une des valeurs culturelles kanak par ce slogan « Si y a pas toi Y a pas moi ». La puissance culturelle est d’octroyer place, rôle, interrelations entre les uns et les autres. Elle avait fait de la culture en Nouvelle-Calédonie tout ceci : Un partage réel du présent ; Une déconstruction positive de la domination masculine ; Une réciprocité des échanges entre communautés par la pratique de la citoyenneté ; Des signes identitaires proposés pour exprimer ce devenir. De sorte qu’une déclinaison infinie de ces trois dimensions superposées montre l’envergure d’une œuvre qui est en mouvement, qui est un monument.

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