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 la courte échelle. éditions transit

éditeur solidaire et associatif, art et politique,

Hamid Mokaddem. Une violence sans bruit

Publié le 13 Octobre 2019 par la courte échelle. éditions transit in Lu


 

Au sujet de Ma dernière scène de Pierre Wakaw Gope. Représentation les jeudi 10, vendredi
11 et samedi 12 octobre 2019 au Centre culturel Tjibaou, Nouméa, Nouvelle-Calédonie


Une fissure dans l’espace littéraire kanak. Toujours concis, dense, intense et varié, le théâtre de
Pierre Wakaw Gope dérange l’ordre politique du monde.
Théâtre pays, parce que comme le dit le personnage central, auteur dramaturge, qui remet en
question le monde, son monde, son pays, il écrit sur soi, sur le lieu, sur le droit de l’endroit à
remettre à l’endroit.
Le rideau entrouvert. Le spectacle commence-t-il ? Les spectateurs sont-ils invités à assister à
la pièce ? L’inquiétude nous saisit d’entrée de jeu. Une mélodie en arrière-fond et le
protagoniste, l’artiste, monologue ou dialogue avec le public. Il entre en scène. Il nous déclare
qu’il joue là sa dernière scène.
Théâtre minimaliste. Une heure. Une heure où les voix disent tout. Tantôt avec un langage
truculent, châtié, moqueur. Tantôt avec une langue travaillée dont les envolées lyriques traitent
du réel : Que devenons-nous aujourd’hui ? Qu’ai-je dit et écrit depuis une trentaine d’années ?
Ça signifie quoi être soumis aux décisions de subventions pour vivre, manger, satisfaire ses
besoins ?
Théâtre expérimental. Peu de comédiens. Trois. Peu de moyens mais jouant avec la technique…
les acteurs, l’actrice, rivalisent sur les choix de mise en scène et chacun interpelle le technicien :
« Thomas ! Mets la lumière ici ! » … Dans et/ou en dehors des ronds, le troisième acteur, fils
du metteur en scène, raté de la vie, erreur de théâtre, se croit être mis dans un confessionnal.
L’artiste nous dévoile le métier. Les angoisses d’être artiste dans un contexte de pressions
politiques, de censures, de petites censures au nom de… au nom de la culture… Au nom de la
culture, on finit par censurer la culture…Pierre Gope fait-il sa dernière scène ? Sort-il vraiment
une bonne fois pour toute de scène ? Ou nous joue-t-il la comédie ? Feinte-t-il un dernier rôle ?
Peu importe !
L’écrivain est un des rares à exprimer notre contemporanéité. En plein coeur d’une scène
localisée, il expérimente, vit le Pays. Certes La commande, pièce de théâtre de Nicolas
Kurtovitch, avait déjà questionné le sens d’une création sous diktat du Prince. Pierre Gope
explore encore plus loin. Il interroge l’écriture, son écriture. Suis-je encore utile ? Les questions
sont-elles encore pertinentes ? Tout ce que j’écris devient-il déchets, ordures mondaines ?
Obscènes bouffonneries tout juste bonnes à divertir et à faire s’esclaffer de rire ? Les comédiens
les plus proches, les plus intimes, jusqu’où me soutiennent-ils ? Me comprennent-ils ? Ou ontils
pour moi commisération, pitié ?
Le jeu scénique des comédiens monte en puissance. Personne ne s’ennuie. Tout le public y
prend encore plus de plaisir … jusqu’à la dernière séance… jusqu’à la dernière scène… Les
paradoxes des comédiens, tour à tour acteurs, spectateurs, entremetteurs ; les saynètes au coeur
de la scène ; les interruptions ; les rebondissements ; les reprises… le texte se déroule sous nos
yeux… à coeur ouvert… le coeur mis à nu… Du spectacle ! Du vrai spectacle. Oui Pierre Gope
est un metteur en scène d’ici, un « théâtre des cocotiers », méprise des élites au pouvoir qui
disqualifient son théâtre : pas historique, obscène, désuet.
L’écriture, par répétitions différenciées, revient aux incessantes questions : Ouvéa, Jean-Marie
Tjibaou, Eloi Machoro, Yeiwene Yeiwene. La comédienne, épouse du protagoniste, propose
un texte moderne et universel L’Esperanza la misère mondialisée. Qui est obscène ? Hors
scène ? Le théâtre de Gope ou celui convenu « universel » ?
Avec génie, l’artiste met en scène un adieu. Le public y voit un rappel. Pour lui ouvrir de
nouveau le rideau !

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